Projet de restauration

Piano à queue Henri Herz, no 1 734, 1840

            Le Musée du Piano à Limoux est le témoin de la foisonnante école française de facture de pianos, et surtout de sa première période de gloire pendant la Monarchie de Juillet.  Mais jusqu’à présent, en ce qui concerne les instruments de cette époque, c’est un témoignage muet. Devant cette foule de beaux pianos, l’on peut admirer l’élégance inégalée et la variété inépuisable de leur meuble, être émerveillé par l’ingéniosité de leurs mécaniques et par la perfection de la main d’œuvre qui les a créés, mais leur véritable raison d’être, faire de la musique, reste uniquement dans nos imaginations.  Lors des rencontres en l’été 2018 de plusieurs (f)acteurs dans le domaine, il a été proposé d’embarquer sur un projet collaboratif : la restauration en état de jeu de l’un des instruments phares de la collection, ce qui ouvrirait des possibilités de recherches musicales, de concerts et d’animations, éventuellement en symbiose avec d’autres institutions.

Pourquoi restaurer un piano de Henri Herz ?

La position dominante et centrale de la facture française de pianos dans la vie musicale des décennies 1830-1840 n’est plus à prouver. Les noms Érard et Pleyel, justement, sont à jamais associés à ceux des compositeurs-pianistes Liszt et Chopin.

L’interêt grandissant dans la résurrection des pianos de l’époque romantique commence à faire redécouvrir les qualités propres qui distinguent les instruments de ces deux facteurs, qualités qui subliment la pensée et le jeu si différents de Liszt et de Chopin.  L’uniformité de conception généralisée dans la facture d’aujourd’hui est très loin du tourbillon d’idées et d’esthétiques qui caractérise le romantisme.  Cependant, les illustres noms de Pleyel et d’Érard ne doivent pas éclipser ceux d’autres acteurs qui se trouvaient au cœur de cette aventure.  Henri Herz (6 janvier 1803 – 5 janvier 1888) est de ceux-là.  L’un des pianistes-compositeurs les plus célèbres de Paris sous la Restauration, il est peu à peu détrôné par Liszt et Chopin. Nommé professeur de piano au Conservatoire en 1842 par Auber, il y enseigne jusqu’à sa retraite en 1874.

Henri Herz s’associe en 1827 à Henri Klepfer, de la maison de pianos lyonnaise Klepfer-Dufau dont il connaissait les pianos. L’entreprise Herz-Klepfer n’eut pas de succès et ferma ses portes en 1829.  Il fonde alors sa propre manufacture de pianos à Paris, développe ses propres modèles et y fait édifier l’une des premières véritables salles de concert en 1838, la salle Herz, 48 rue de la Victoire.

Salle de concert Henri Herz

Parmi de nombreuses inventions et brevets, il modifie notamment le système de la mécanique à répétition d’Erard en déplaçant le ressort vers le milieu du balancier, ce qui explique que le système de la mécanique à répétition d’Erard, utilisée aujourd’hui universellement dans les pianos à queue, s’appelle parfois « mécanique Erard-Herz » (brevet n°15 532 du 26 octobre 1843).  Ses pianos obtiennent la plus haute récompense à l’Exposition universelle de Paris en 1855.[1]

[… M. Herz n’en est pas seulement un excellent maître, mais aussi un facteur habile. Frappé, comme tous les exécutants, des défauts qui existaient dans la fabrication des anciens pianos, il avait résolu d’y mettre un terme et s’était associé pour cela à un facteur intelligent, M. Klepfer. Ensemble, ils firent de nombreux essais, et, à l’exposition de l’industrie française de 1839, la fabrique de M. Herz se fit remarquer par ses pianos à queues, plus chantants, plus pleins que les autres. Il perfectionna aussi le clavier en adoptant le système anglais, afin de rendre les attaques plus promptes et plus sures. Il ne s’en tint pas là, et donna de l’extension au clavier ordinaire en lui faisant comporter sept octaves complètes…]
Encyclopédie des gens du monde: répertoire universel des sciences …, Volume 13, 1840, p. 780

L’exemplaire qui se trouve au Musée, porte le numéro de série 1 374

Sous la table d’harmonie, le piano est signé et daté de 1840

Cet instrument est le don de M. Stéphane Jeunier, membre de Europiano France, suite au décès de son père, Philippe.  Il est dans un état globalement assez sain, mais il a subi quelques réparations, probablement dans les années 1950 ou 1960. Les cordes et les feutres extérieurs des marteaux et des étouffoirs ont été remplacés, et quelques réparations d’appoint sous la table d’harmonie dans les graves démontrent une possible défaillance à cet endroit.  Le cadre en bois de la queue a subi une attaque relativement importante d’insectes lignivores.

Deux manques importants sont toutefois à signaler : la fausse-table et la barre harmonique dans l’aigu.  Ces éléments paraissaient sans doute saugrenus et superflus aux yeux du réparateur, qui ne les a pas retenus.  Cependant, ils font partie de l’appareil sonore du piano, et il conviendra de les rétablir.

La fausse-table a probablement deux fonctions principales : modifier et tamiser la sonorité émanant de la table d’harmonie, mais aussi garder un microclimat d’air frais autour des cordes, ce qui améliore considérablement la tenue d’accord lors d’une séance dans une salle chauffée par la chaleur humaine et un éclairage aux chandelles ou becs de gaz.  Accessoirement, la fausse-table protège la table d’harmonie des poussières, préjudiciables à la sonorité et difficiles à enlever sous les cordes.  Elle est présente dans la grande majorité des pianos français, de la fin du XVIIIe au milieu du XIXe.  Dans le cas des pianos à queue, elle est axée sur des petits blocs à l’intérieur de l’échine, de sorte qu’elle peut être basculée et attachée à l’intérieur du couvercle afin de permettre accès aux cordes.

On voit clairement les anciens emplacements de ces blocs

La barre harmonique, dispositif breveté par Pierre Érard le 5 octobre 1838, a pour fonction de rajouter de la masse à l’agrafe qui termine les parties vibrantes des cordes dans les aiguës, ce qui a pour effet de rendre leurs vibrations plus stables et purs dans ce registre sensible.  Elle fut bientôt surpassée par le Capo Tasto d’Antoine Bord, introduit en 1843 sans brevet, qui réunissait les fonctions d’agrafe et de barre harmonique.  On ne sait pas si Herz paya une redevance à Érard ou s’il chercha à la contourner en modifiant la construction de sa barre.

Barre harmonique Erard


Brevet de barre harmonique de Pierre Erard du 5 octobre 1838

Les cordes sont relativement récentes, ainsi que les chevilles. Après vérification de l’état du sommier, il serait intéressant de monter des cordes en acier Webster, en suivant les tailles de jauge marquées sur le sommier. Des fac-similé de cordes Webster sont disponibles chez Stephen Birkett (Historical Music Wire, Waterloo, Ontario, Canada). À cette stade, le réemploi des chevilles actuelles semble la solution le plus simple.
L’ébénisterie de la caisse, de très belle qualité, aura besoin de quelques menues réparations et le renouveau du vernis. Les dégâts d’insectes à la structure de la queue doivent être réparés.

Christopher Clarke

[1]. Mes remerciements à Wikipédia, aux Pianos Esther (Liège) et à Lieve Verbeeck pour ces informations.

Nous vous invitons toutes et tous à participer à la restauration de ce piano d’exception, soit en apportant vos compétences professionnelles, soit par une contribution en espèces sonnantes et trébuchantes !