La fausse table d’harmonie

Accessoire  au charme désuet, la fausse table est un mince panneau de bois, amovible, dont la présence et la position dans le piano permettent de modifier légèrement le son. Voilà pour la définition qu’on peut en donner.

Pour rester dans l’idée, observons simplement nos pianos à queue modernes : Le couvercle peut être grand ouvert, complètement baissé, ou encore entre les deux, dans une ou deux positions intermédiaires, grâce à des bâtons de longueurs différentes. Nous connaissons tous ce principe, le but recherché étant bien sûr le même : on adapte la puissance de son au répertoire demandé.

A première vue, la fausse table du piano à queue donne l’impression d’être un second couvercle. Plus petite et placée dans la caisse sous ce dernier, posée au dessus du plan de cordes, sur la quasi totalité de la partie vibrante, elle suit les grandes lignes de la table (la vraie) d’harmonie, située, elle, dessous (les cordes). Il s’agissait, selon les termes de l’époque de « répartir » les sons latéralement (pour les moins convaincus ‘’…elle produisait en réalité une sonorité écrasée, inesthétique.’’ [in : Histoire du piano, Ernest Closson, 1947]). Cette époque, c’est celle de la première moitié du XIXè siècle, celle du plein romantisme (Elle aurait, en fait, été créée en 1783 par l’anglais Broadwood). On la trouvera désignée quelquefois sous les termes inappropriés de double table, petit ou faux couvercle, mais c’est réellement sous l’appellation qu’on lui connait aujourd’hui qu’elle traversera et son temps et l’histoire.

Des tasseaux en bois, toujours vissés, la rigidifient. Ils dépassent plus ou moins sur les bords jusqu’à se caler près ou contre la ceinture, dans de petites logements en bois, pour ne plus bouger et surtout vibrer. L’essence utilisée varie, on trouve de l’épicéa, de l’acajou, du palissandre. Les fausses tables sont en principe massives, mais il y en a aussi en trois épaisseurs, sur le principe de nos contreplaqués modernes. Certaines, plus rares, pouvaient être travaillées, marquetées, voire richement ornées.

La plupart des pianos de la période concernée que nous avons au musée sont complets. Une véritable chance quand on pense que beaucoup de fausses tables furent perdues, victimes de l’oubli, du désintéressement, des déménagements, quelquefois tout ça en même temps.

Mes visites au musée de Limoux commencent toujours par la rangée de pianos à queue, tous au garde à vous, couvercles levés. Et immanquablement, les visiteurs intrigués de s’interroger sur cette mystérieuse planche. Celle du Pleyel à queue de 1830 est ma préférée car elle représente un peu ce qui s’est fait en premier.

En épicéa brut, au format étriqué, à pan coupé sur le petit côté (photos ci-dessus et à gauche ci-dessous), elle montre très bien la volonté de réduire le son tout en n’osant pas l’étouffer complètement. Ses voisins plus tardifs (un Erard de 1837 et un autre Pleyel de 1848) présentent fièrement une fausse table plus importante. Là, elle est travaillée, vernie, et surtout cravatée, c’est à dire articulée sur le long côté par une charnière ouverte en bois. Dans ce cas, et si on veut jouer plain chant, on ne la retire pas, on la lève jusqu’à la plaquer contre le couvercle déjà ouvert  et l’y bloquer au moyen d’une cordelette, d’un taquet en bois ou une ferrure.

Mais cet accessoire n’était pas exclusif au piano à queue, il prenait également place dans le piano carré et aussi dans le piano droit :

Comme sur le queue, la fausse table du piano carré épouse la forme de la table d’harmonie. Cela donne donc un triangle très approximatif, la disposition du plan de cordes étant ici différente. Les tasseaux reposent où ils peuvent, et le barrage de fer reçoit quelquefois un aménagement nécessaire (perçage d’un trou, pointes de calage).

Celle du piano droit est moins connue. On la trouve dans les instruments de la même époque, surtout les amusants petits pianinos, les modèles pont ou niche de chien (Rollet et Blanchet, Montal, Mercier, soufleto, etc… pour les plus connus). Là, elles n’ont aucun rapport avec la table d’harmonie, tant dans leur forme que dans leur disposition. Elles n’ont pas ou peu de tasseaux et sont simplement posées dans le haut du meuble, au-dessus de la mécanique, sous la partie amovible du couvercle, sur de petits taquets ou dans des encoches, un léger décroché taillé sur la tranche de chaque côté, ou logées dans des glissières. Au milieu et sur l’avant est prévu un espace pour pouvoir sortir le pupitre pliant. Elles sont souvent trouées de motifs géométriques (losanges et ronds) parfois obturés d’une fine toile. Elles paraissent en tout cas dérisoires et on peut être sceptique quant à leur réelle efficacité.


Nous voici déjà au bout de ce rapide tour de (fausse) table. Je ne parierai pas sur les chances d’en revoir un jour sur nos pianos neufs. Quoique… la mode étant, comme on dit, un éternel recommencement, nous ne jurerons de rien. Nous laisserons simplement ce symbole d’une époque bien particulière aux bons soins du vent malin de l’histoire à venir. Lui seul pourra (pourrait) le tirer des oubliettes pianistiques dans lesquelles il est tombé voici déjà un siècle et demi…

Jean Jacques Trinques

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Une belle brochette de fausses tables : pianos à queue, droits et carrés

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Un magnifique travail : la reconstruction de la fausse table manquante, sur un Pleyel de 1844 ;

Composée d’un massif en épicéa harmonique, plaqué de palissandre de Rio, incrusté de filets d‘étain et d’os gravé et teinté, finition vernis au tampon.

Travaux réalisés par Manuel Dubreucq et son associée Sylvie-Magali Wathelet, sarl Aux Portes du Temps Passé 27 Route de Gisors 27660 Bézu saint Eloi – France.

Détails de la construction sur leur site :

http://www.auxportesdutemps.com/

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