Patron, un double !

Parmi les innombrables curiosités de l’histoire pianistique, histoire ô combien ingrate, elle va pour la plupart les oublier, voici quelques lignes consacrées aux pianos à claviers doubles, opposés, superposés, séparés, destinés en tout cas à des fonctions bien précises et très souvent complémentaires. Leur liste est bien plus longue que ce que l’on pourrait penser et évidemment elle n’est ici pas exhaustive.

 

Double virginal, Hans Ruckers le Vieux, Metropolitan Museum of Art

Ces dispositions concernaient à l’origine l’orgue, l’harmonium et le clavecin. Touchonsen quelques mots, mais sans s’y attarder réellement, au risque de friser le horssujet. Nous connaissons tous ces systèmes, ce sont eux qui donneront plus tard des idées de clavier supplémentaire aux facteurs de pianos.

Les claviers du clavecin. Encyclopédie Diderot et d’Alembert, 1772.

Les ajouts de claviers résultent de lointaines recherches. Selon le répertoire et les modes s’affirme très tôt un réel besoin de nuancer sa musique. Déjà, le milieu du XVIIe siècle voit apparaître de nouveaux registres sur le clavecin qui s’émancipe. Et c’est sans scrupules que cent cinquante ans plus tard on pratiquera quelquefois l’opération inverse : éliminer ce gênant clavier supérieur pour transformer l’instrument, devenu alors désuet, en pianoforte.

En deçà des deux claviers superposés que l’on trouve d’ordinaire sur les clavecins, citons un instrument fort sympathique, un double virginal de Hans Ruckers le Vieux (exposé au Métropolitan Muséum of Art de NewYork). Il a la forme d’un grand piano carré, et un second instrument totalement indépendant, appelé « spinettino » (normalement accordé à l’octave) est encastré dans le meuble, à gauche du clavier. Il s’extrait comme un simple tiroir et peut être joué séparément ou posé sur le clavier principal, de manière à être accouplé avec lui. Chaque clavier comprend 45 notes, de mi à ut.

Venons en, à présent, à notre bon vieux piano. Je ne m’autorise pas, en ce qui le concerne, à privilégier tel facteur ou tel système. Chacun respire une époque. Nous allons donc parcourir une galerie de portraits insolites, divaguer et visiter, sans ordre particulier, ces bizarres de la musique. Le seul classement que je me suis autorisé à faire n’est guidé que par leur destination finale. Certes, au delà de quelques à peu près bien compréhensibles dont vous me saurez gré, je vous propose : des dispositions en rapport avec la musique religieuse, puis des claviers à touches de largeur réduite pour les petites mains, les visàvis et toutes sortes de claviers opposés, et enfin les inclassables ce ne sont pas les moins tristes.

Avant toute chose, sachez qu’en France, le tout premier brevet sur le piano recensé à l’INPI, concerne un ‘’piano harmonica’’ à deux claviers superposés. Il a été déposé par un certain Schmidt le 27 juillet 1803. Ce brevet est peu lisible et incomplet. Il nous permet de comprendre que cet instrument avait deux mécaniques distinctes, l’une usuelle à marteaux, et l’autre à archet circulaire. Le clavier du bas devaitil servir pour le jeu au piano et le clavier du haut pour obtenir un son soutenu par archet ? Sur le dessin la mécanique à marteaux n’est pas représentée. On peut supposer qu’il n’y avait qu’un seul plan de cordes, cellesci pouvant être percutées ou frottées selon le clavier utilisé.


Musique et religion

Déjà dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, on trouve traces de pianos à deux claviers, une disposition étudiée pour le répertoire religieux, le second clavier  jouant un orgue ou un harmonium. Un de ces instruments particuliers est bien décrit et dessiné par Dom Bedos de Celles dans son traité ‘’L’Art du facteur d’orgue’’ (1766 et 1778). Il s’agit d’un piano organisé construit par JeanFrançois Lépine, facteur d’orgue languedocien. Le piano forte estun piano carré  et  l’orgue est situé sous celui-ci. 

Piano carré orgue en dessous du facteur languedocien Jean-François Lépine.

Chaque clavier comprend 5 octaves de fa à fa. Un piano similaire et tout aussi intéressant est exposé au Haags Gemeentemuseum, à La Haye, PaysBas. Il s’agit d’un Stein de 1781, un piano qui n’est pas carré mais à queue (bicorde en noyer) et aux claviers également superposés. L’orgue imposant occupe tout le volume de la partie avantbasse de l’instrument et les deux claviers comprennent 5 octaves, toujours de fa à fa.

Deux facteurs viennois se sont distingués au début du XIXe siècle : Matthias Müller, imagina vers 1800 d’ajouter un second clavier à son piano vertical qu’il avait affublé du nom bizarre de « ditanaklasis », et un peu plus tard, Joseph Schätzel construisit vers 1830 quelques pianos à queue munis d’un mécanisme d’harmonium à soufflets. Ce dernier pouvait être joué au clavier normal du piano ou bien sur un second clavier de trois à quatre octaves situé en dessous dans un petit tiroir.

Nombre de ces instruments nous renvoient évidemment aux liens étroits qui unissaient musique et religion, et bien sûr aux pianos pour organiste (avec souvent un ajout de pédalier). Certains ont été fabriqués à un clavier, mais on en trouve aussi à deux claviers (comme celui du londonien George Rogers & sons en 1920), et même plus : Lambillote et loret, puis le Compiégnois Possien inventèrent respectivement en 1853 et 1861 un mécanisme à quatre claviers applicable aux orgues, harmoniums et pianos ! (Chaque clavier jouant à l’octave de son voisin de dessous).

M. Philibert Cropet de Toulouse avait fabriqué dans les années 1840 un essai de piano à queue avec deux claviers (et deux mécaniques et tables d’harmonie) plus un pédalier.

Un très joli piano-harmonium Pleyel, n° 23 010 (vers 1856), fabriqué en collaboration avec Alexandre. Beau meuble en acajou, le clavier du piano compte sept octaves et juste en dessous, centré, celui de l’harmonium en a cinq. En bas, les deux grosses pédales de l’harmonium encadrent celles normales du piano.

Le second clavier du biterrois Marius-Louis Roubaud de 1906. ‘’Son étendue pourra être semblable à celle des orgues, de l’ut grave, 2e octave à fa ou sol, 6e octave’’. Mais ces touches supplémentaires ne présentent pas grand avantage. Elles jouent le même jeu, la même mécanique de marteaux ; elles ne représentent donc qu’un pis-aller, une maigre aide à l’organiste, et on peut remettre en question le bien fondé d’un tel procédé.

Les touches de largeur réduite

Les dispositions suivantes sont intéressantes et répondent en partie à la lectrice qui posait une question pertinente dans la revue Piano le Magazine n° 40 (p. 98) sur la largeur des touches, pour permettre aux femmes et enfants aux mains plus petites de jouer normalement les grands intervalles (octaves, neuvièmes, dixièmes, etc…).


Le brevet le plus ancien abordant ce sujet (à l’INPI) date du 30 mars 1835. Mme Soria, professeur de piano à Paris proposait deux claviers adaptables (l’un ou l’autre, mais pas ensembles) pour les pianos carrés de l’époque. Les touches étaient moins larges qu’à l’habitude ; elles étaient prévues ‘’… le premier clavier pour les enfants de cinq à dix ans, le second pour leurs aînés de dix à quinze ans’’. J’ignore avec quel facteur de pianos Mme Soria a bien pu collaborer.


L’idée de l’italien Frascani (1930) est en soit simple : un clavier supplémentaire est situé sous le clavier ordinaire. Il est escamotable et se sort comme un tiroir. Les touches sont de dimension réduite, et adaptées à la mécanique de marteaux. Ce système est réalisable aussi bien
sur un piano droit que sur un piano à queue.

Frascani, clavier supplémentaire sous le clavier ordinaire

Dans le même ordre d’idée, un certain Krom inventa en 1887 un piano avec deux claviers, disposés en opposition sur et sous le plateau de clavier ! Ce dernier était sur coulisses. On le sortait, et faisant pivoter ces claviers sur eux-mêmes, de choisir et jouer soit avec un clavier normal, soit avec un clavier à touches réduites.

Verra-t-on un jour le renouveau de ces systèmes ? Pourquoi pas… la mode est un éternel recommencement. Mais il est probable que ce sera de manière plutôt confidentielle, les industriels se montrant toujours frileux face à de telles innovations. Citons toutefois le japonais Yamaha qui a déjà proposé des claviers à touches de largeur réduite avec, nec plus ultra, plusieurs largeurs possibles, ainsi qu’aux États-Unis, David Steinbuhler (plusieurs sites en parlent sur la toile). Par ailleurs, quelques fabricants commencent à offrir la possibilité de choisir la taille du clavier lors d’un achat de piano.

Dans le même ordre d’idée, un certain Krom inventa en 1887 un piano avec deux claviers, disposés en opposition sur et sous le plateau de clavier ! Ce dernier était sur coulisses. On le sortait, et faisant pivoter ces claviers sur eux-mêmes, de choisir et jouer soit avec un clavier normal, soit avec un clavier à touches réduites.

Le brevet Krom. On voit bien le plateau pivotant avec un clavier dessus et un dessous.

Verra-t-on un jour le renouveau de ces systèmes ? Pourquoi pas… la mode est un éternel recommencement. Mais il est probable que ce sera de manière plutôt confidentielle, les industriels se montrant toujours frileux face à de telles innovations. Citons toutefois le japonais Yamaha qui a déjà proposé des claviers à touches de largeur réduite avec, nec plus ultra, plusieurs largeurs possibles, ainsi qu’aux États-Unis, David Steinbuhler (plusieurs sites en parlent sur la toile). Par ailleurs, quelques fabricants commencent à offrir la possibilité de choisir la taille du clavier lors d’un achat de piano.

Les vis-à-vis.

Vis-à-vis, Pleyel

La facture française du piano à double clavier ne repose en fait que sur la notoriété du vis à vis de Pleyel, emblème, s’il en est, d’une période d’essor où toutes les divagations semblaient possibles. Plusieurs ouvrages en font mention, mais je profite de l’instant pour évoquer sa version pneumatique. Peut-être est-il le seul piano à double clavier monté avec ce système ? Le Pleyela-double, comprend un mécanisme très complexe où défile une seule bande de papier perforé, un clavier jouant le chant, l’autre l’accompagnement. Il fut certainement l’un des pianos les plus chers de notre histoire. Le vis-à-vis de Pleyel est certainement inspiré du »duoclave » du new-yorkais J. Pirson exposé à l’Exposition universelle de 1851.
Si le principe des pianos à queue en vis-à-vis n’a pas été inventé par Pleyel, tournons nos regards, en ce qui concerne le piano droit, vers son grand concurrent Erard. Ce sera rendre hommage à ce grand facteur, car, à son sujet, la mémoire collective ne retient surtout que le double échappement.

Le 17 octobre 1821, Sébastien Erard dépose son brevet « Forté-piano à mécanisme nouveau et à deux claviers placés vis-à-vis l’un de l’autre ». Il avait déjà abordé le sujet quelque temps auparavant car Constant Pierre, dans son ouvrage ‘’Les luthiers’’ (1893) nous dit : « il imagina le piano à deux claviers en regard (1811) ». (Erard construisit aussi à cette époque des instruments aux diverses formes : le piano-clavecin [1809] et le piano-secrétaire [1812] à deux jeux de marteaux).

Si on observe ce brevet de 1821, nous constatons qu’il s’agit de deux systèmes identiques réunis dans une même caisse, comme si on avait accolé deux pianos droits dos à dos. Cela nous confirme que l’histoire du piano droit français se perd pendant vingt cinq ans (de 1805 à 1830) dans des constructions plus ou moins abouties et aux carrières éphémères. Mais nous pouvons aussi, et quoiqu’il en soit, en déduire que notre piano droit a été développé bien plus tôt qu’on peut souvent le penser. Prenons en pour preuve ce brevet sus-cité de Sébastien Erard : s’il a fait ce double en 1821, il savait forcément faire un simple. Le dessin de ce brevet nous montre que, vus de dessus, les deux claviers sont décalés latéralement l’un par rapport à l’autre d’une trentaine de centimètres, à cause de l’oblicité des cordes. La tessiture est de sept octaves entières, de do à do, ce qui est pas mal pour l’époque. Notons qu’il n’y a pas d’attrapes et, cerise sur le gâteau, observez le système d’étouffoir qui fait le tour du sommier, le feutre plaquant les cordes par l’arrière !

A signaler aussi : le « Moyen droit jumeau » de John Champion Jones, vers 1850, un peu comme l’Erard vu ci-dessus, c’est à dire deux pianos droits dos à dos dans une même caisse, mais fabriqué de manière plus conventionnelle. La seule question qu’on peut se poser à son sujet est de savoir s’il y a une table d’harmonie unique. Quoiqu’il en soit, ce vis-à-vis ne paraît pas si « champion » que ça parce que les duettistes ne peuvent jouer de visu, si ce n’est au moyen de miroirs judicieusement placés sur ou autour du meuble.

Dans le même ordre d’idée, accordons une mention plus qu’honorable au double de Joseph Manuel Arencibia (1892). Le piano normal est à gauche. Dans son dos, un frère jumeau avec un clavier escamotable. Un tel instriment est exposé au musée de Limoux (Il a en plus, dans le bas de la caisse, un harmonium qu’on peut jouer seul ou accouplé avec le clavier normal. Trois instruments en un !).

Un autre piano double a retenu mon attention : celui de Jean-Baptiste Charreyre. Il créa en 1825 un double piano à queue vertical (deux pianos girafe) qu’il nomma le « Duo-clavier ». Les instruments, sont posés sur une estrade cintrée, à travers l’épaisseur de laquelle passent trois pédales (basson, forté et célestine). Six octaves chacun, de,fa à fa..En haut, un solide chapiteau consolide l’ensemble. Il sert d’accroche à des cordes étouffées « […]par une peau un peu dure qui doit s’appuyer sur les cordes ; je lui donne le nom d’isolateur, qui désigne suffisamment ses fonctions »
Ces cordes supplémentaires ne sont pas frappées, elles servent de contre-tirage pour consolider l’accord de ce Duo-clavier. Elles sont cachées par une tenture de de couleur verte.

Les inclassables

Le piano « Moor » (brevet de 1921), avec ses deux claviers superposés devait servir à revisiter le répertoire du clavecin. « L’invention la plus sensationnelle depuis Cristofori » ne durera que le temps des années folles. Les heures sombres de déclin et de guerre, se chargeront de remiser cette empreinte indélébile de notre histoire pianistique aux oubliettes. Contrairement à certaines idées reçues, Pleyel n’a pas eu l’exclusivité de cette fabrication : Emmanuel Moor a collaboré avec d’autres facteurs tels Steinway, Bechstein et Bösendorfer, ou encore Schmidt et Flohr, Chickering …

Parlons encore clavecin avec le suisse Sautier qui inventa en 1924 un piano (à queue) hybride (cordes frappées et pincées). Les sautereaux sont accouplés (par un système débrayable) aux étouffoirs alors que l’action des marteaux peut être annihilée. Et si Sautier parle d’un ou plusieurs claviers, ses plans n’en montrent qu’un : il faut donc comprendre un ou plusieurs jeux …

Surprenante, l’innovation du hollandais Pierre Hans (1918). Elle peut être appliquée à tous instruments similaires comme les orgues, harmoniums, pianolas, etc. Son clavier supplémentaire est fixe ou mobile, disposé à l’unisson ou à plusieurs ½ tons du premier. Mais son concepteur le prédispose surtout à un seul ½ ton ! « […] de telle sorte que chaque note puisse être produite par deux touches au nom différent…] »

Tout aussi bizarre, le brevet Tonnel, du 23 août 1837, qui servait à séparer les notes diésées et bémolisées.

Chantaize, de Montluçon, en 1900 (puis avec Charles Tribondeau deux ans plus tard), travailla une disposition qui eut son heure de gloire vers 1845 : le piano octavié. Son innovation consista en la création d’un second clavier. Il était relié au premier par des tringles, et chaque note pouvait, sous la pression d’un seul doigt, jouer la note et son octave. Une véritable usine à gaz, vous vous en doutez ! Pleyel a déposé en 1844 un brevet sur le même
principe, mais à un seul clavier.

Plus rigolo encore, le « Piano perpendiculaire » du londonien William Henry Percival (1878). Il est très étonnant car ce sont deux demi-claviers qui se présentent en opposition, dos à dos et verticaux (4 octaves 1/3 chacun, les aigus à droite et les basses à gauche. L’ensemble donne 7 octaves, de la à la). Le pianiste les joue en quelque sorte comme un accordéon. Le meuble parallélépipédique mesure 84 cm de hauteur; il est monté sur quatre pieds avec roulette. Son faible poids et son encombrement réduit destinait ce « piano du pauvre » nouvelle version au chanteur des rues.

Voici enfin pour la bonne bouche le plus fou de tous ces pianos à double clavier : le fameux Mangeot, double piano à queue à clavier renversé. Le premier instrument est normalement constitué et le second, posé dessus, est monté à l’envers avec les basses à droite et les aigus à gauche (signalons, au passage, que la maison Blüthner vient de fabriquer un piano à queue doté de cette disposition inverse).

Mangeot, double piano à queue à clavier renversé

Les frères Alfred et Edouard-Joseph Mangeot (Nantes 1834, Paris 31/05/1898) succédèrent en 1859 à leur père Pierre-Hyacinthe qui avait, vingt neuf ans auparavant, établi sa maison à Nancy. (Edouard Mangeot créa avec son gendre Arthur Dandelot la revue ‘’Le Monde Musical’’ dont il prit la direction. Son petit-fils Geoges Dandelot [2/12/1895-17/08/1975] fut un compositeur, théoricien et enseignant réputé. Tous ceux qui tiennent une librairie musicale ne peuvent ignorer ses ouvrages pédagogiques).
L’idée pour le moins farfelue de créer un tel engin, est à mettre au crédit d’un pianiste très connu en son temps : Joseph Wieniawski. Celui-ci, alors professeur de piano à Bruxelles racontait, lors de conversations en 1877, que les facteurs de pianos étrangers auxquels il s’était adressé, avaient refusé d’entreprendre un tel instrument au vu des difficultés à surmonter. Séduits par un tel défi, les frères Mangeot se lancèrent dans la bataille. En fait, ils en réalisèrent six, dont un en 1880 qui trône actuellement au MIM de Bruxelles (un don de ses concepteurs). L’avantage de ces deux claviers superposés consistait en « la suppression totale de l’écartement du bras pour atteindre aux limites extrêmes de la tessiture et des croisements de mains », « mince avantage, nous dit Constant Pierre (op. cit.) en comparaison des études auxquelles ce système entraînait l’exécutant ».

Ce piano a soulevé l’enthousiasme de Liszt, à l’occasion de sa présentation à l’exposition universelle de Paris en 1878. On doit cependant à un de ses disciples, Jules de Zarebwski, jeune virtuose et professeur de piano au Conservatoire Royal de Bruxelles, de s’être fait le champion de cet instrument. Il a notamment écrit une œuvre spécifique, une « grande symphonie originale expressément composée pour les deux claviers renversés ». Pour le reste, il fera plutôt des transcriptions, comme la Danse des Sylphes de Berlioz ou l’Ouverture d’Obéron de Weber. Il avait, le vendredi 10 mai 1878 (et plusieurs fois ensuite jusqu’à l’exposition), été auditionné dans les salons parisiens de l’Institut Musical, par un public averti et chaleureux, et promettant une belle carrière à ce drôle de piano. « Ce n’est pas un progrès, c’est une révolution ! «  s’est écrié Charles Gounod.

Côté technique, nous savons que ces deux pianos sont vraiment indépendants l’un de l’autre. Les pédales sont évidemment au nombre de quatre, montées sur une même lyre, celle-ci se débranchant pour le transport. La tessiture va de sol à la (87 notes). Espérons un jour voir de plus près ce drôle d’instrument. Il sera intéressant de connaître ses principales caractéristiques techniques, (cordes croisées ou pas, cadres à renforts ou en fonte coulée, mécaniques à frappe montante ou descendante ?).

Il n’est pas impossible que Mangeot ait pu s’inspirer d’une création, en 1844, du facteur français Roller, création similaire plus par la forme que dans l’esprit. Il s’agissait d’un double, bien sûr, le piano de dessus (renversé) possédant sa propre table d’harmonie, ses cordes, etc … mais pas de clavier. Roller avait travaillé ce sujet depuis 1839. Il souhaitait augmenter la puissance de sonorité des grands pianos de concert…
Ce facteur réalisa aussi, et pour l’anecdote, le « piano enharmonique et chromatique », un unique, petit et très rustique instrument à deux claviers, de 15 touches chacun, le premier accordé normalement et le second à l’unisson, mais avec des cordes à partie vibrante modifiable par des chevalets mobiles. Cela pour aider le savant Vincent à illustrer sa conférence sur le quart de ton dans la musique chez les grecs.

Le grand critique musical et compositeur du moment, Oscar Comettant a été associé aux frères Mangeot pour l’invention de ce drôle de piano. Il écrit à ce moment-là dans la Gazette Musicale : « Un jour viendra, nous le croyons fermement, où le piano à un seul clavier n’apparaîtra que comme un demi-piano et disparaîtra tout à fait ».

Jean-Jacques Trinques

Bibliographie :
1. K. Wolters, le Piano, Payot Lausanne, 1976
2. D. Gill, Le Grand livre du piano, Van de Velde, 1981
3. A. Roudier et B di Lenna, Riofiori d’Antichi Suoni, Edizioni del Muséo, 2003
4. O. Barli, La facture française du piano, La flûte de pan, 1983
5. C. Pierre, Les luthiers, Sagot, 1893
6. D. Crombie, Le Piano, Musicom, 1996
7. M. Rébillon-Maurin, in Musique-Images–Instruments, CNRS, n° 1, 1995
Et quelques brevets de l’INPI

Mes remerciements à :
Jeau Haury, M.B. Duvernoy, J.C. Toumikian