Le carré Pape n° 5 451 à frappe par dessus.

Publicité, le Menestrel, 29-08-1847. Les trois modèles sont exposés au musée.

Plus connu par les historiens du piano que par le grand public, Henri Pape (1789-1875) mérite de la profession, ne serait-ce que pour l’invention du feutre pour les têtes de marteaux (1826) et le principe des cordes croisées, des empreintes indélébiles qui ont marqué à jamais notre instrument. L’histoire de cet homme, passionnante et passionnée, ne doit qu’à son talent, sa curiosité, sa volonté de progresser et améliorer in fine ce pianoforte qui s’émancipe en ce début de siècle. Il déposa 137 brevets dont plus de 80 consacrés au piano (en fait une vingtaine, largement augmentée par des additions appropriées, car cela coûtait environ dix fois moins cher). On ne va pas ici s’évertuer à prouver qu’il fut ou pas élève de Pleyel ni de l’influence qu’il eut sur ses contemporains mais saisir l’occasion de saluer l’éclectisme et le talent de ce facteur à travers le n° 5451 qui vient tout juste d’arriver au musée de Limoux.

Intéressant pour son système à frappe par-dessus, ce grand carré de 1844 fut un modèle phare de la maison (nous en avons un autre, antérieur d’une dizaine d’années : le n° 2654 dans la collection du musicologue Jean Haury). Si on note que bien plus tôt, en 1826, il travailla le sujet avec un piano à queue quadricordes à deux marteaux par notes, un à frappe par-dessous et le second par-dessus (!), on peut dire que ce sujet l’intéressa durant toute sa vie professionnelle.

Le 5451 a été restauré vers 1980. On peut s’amuser à confronter les deux en notre possession, en sachant que Pape innovait sans cesse, beaucoup de gens de la profession réduisant souvent la comparaison à ce discours résigné : Il n’y a pas deux Pape identiques !

Le piétage, tout d’abord, est différent. Le premier présente deux volutes de chaque côté qui se rejoignent en leur milieu de galbe pour ne faire qu’un par la grâce de deux boulons. Mais pas de barre centrale, celle qui passe par la lyre, une disposition qui allie élégance certes, mais somme toute, une relative fragilité. Il est tricordes (il présente un dispositif d’aide à l’accord : le technicien ne pouvant atteindre les cordes avec son coin, il se doit de les étouffer au moyen de tirasses situées à gauche du mécanisme, une véritable usine à gaz, vous vous en doutez !).

Le petit nouveau est bicordes

80 notes, 5 unicordes, le reste en bicordes dont 5 filées cuivre, 9 en laiton, le reste en fer. Dans les basses, 7 cordes sont accrochées à des pitons fichés sur le côté du piano, et non sur le traditionnel sommier d’accroches. Cela implique pour celles-ci une charge zéro, et empêche aussi, si le sommier lâche, (ce qui est le cas ici, comme le on voit souvent), qu’il ne remonte trop. Autre chose qui  ne surprend plus personne : l’instrument a voilé. Remarqué aussi, sur seulement trois notes dans les basses, une disposition à trois pointes de chevalet par corde au lieu de deux. L’instrument en lui-même présente toutes les proportions habituelles des grands carrés de l’époque (178 x 81 cm). Il est habillé d’un placage de palissandre, qui nous parait deux fois plus épais que ceux utilisés habituellement. Côté mécanique, peu de chose à dire, si ce n’est de rappeler que Pape a été pratiquement le seul à développer, perfectionner et fabriquer en série pendant de nombreuses années ce système à frappe par-dessus. Il fut bien sûr imité par quelques uns de ses contemporains sans que cela aille bien loin (pour ce qui est des français, je pense à Kriegelstein, et Pleyel un peu plus tard avec notamment son piano carré dit ‘’de bureau’’ , utilise aux compositeurs). Tout le bloc mécanique/clavier se positionne donc au-dessus des cordes sauf les premiers étouffoirs des basses qui sont dessous. Les touches présentent des mortaises sans feutres et à réglage latéral par vis, principe commun à pas mal de facteurs du moment.

Il peut arriver encore aujourd’hui à un accordeur de tomber sur un Pape intéressant. Pour ma part, je me souviens d’un queue que j’avais accordé. Il était monté avec un mécanisme normal à frappe par-dessous… jusqu’aux deux dernières octaves de l’aigu qui avaient le système à frappe par-dessus (les cordes passaient bien sûr à cet endroit sous le clavier, une partie de la barre de devant basculait pour laisser l’accessibilité aux chevilles).

Henri Pape obtint de nombreuses médailles aux expositions entre 1823 et 1851. Très controversé pour ses idées très avancées, il s’endetta, et finit par perdre son usine avant de mourir dans la détresse en 1875 à l’âge de 83 ans. Victime du grand essor industriel de la deuxième moitié du siècle, cet artisan de génie, se définissant‘’ fabricant véritable’’ avait su séduire une clientèle bourgeoise en apportant au quotidien éclairages nouveaux et perfectionnements à ses instruments. Il avait une faculté certaine à créer la demande, se pliant aux exigences des clients, originales ou pas. On se doute que beaucoup de ses productions comme le piano rond, ovale, hexagonal, ou sans cordes, résultaient plus de choix innovants et artistiques, avec les audaces et les erreurs de gestion que cela implique, que ceux d’un industriel visionnaire. Il n’a pas su ou voulu prendre à la soixantaine le virage du machinisme et de la production en grande série. Ce sont donc les ‘’spéculateurs… les fabricants par circonstance…’’ qui prendront le relais et feront rentrer le piano dans l’ère moderne. Son épouse et ses descendants se contenteront de vivre sur l’acquis du mari, du père ou de l’oncle jusqu’à que le nom disparaisse de la vie musicale parisienne.

Jean Jacques Trinques

Piano carré Pape
N° 5 451
Année 1844
Meuble Palissandre
Particularité frappe par dessus
N° d’inventaire E.2013.11.1